Voilà un petit texte que j'ai écris il y a quelque temps déjà mais que je n'ai pas mis en ligne ici.
Quelle vie trépidante que celle d'une goutte de pluie. On ne vit que le temps d'une chute libre de plusieurs centaines de mètres. Je l'imagine d'ici. Un instant plus tôt à l’abri dans son cumulus, entourée de sœur, bientôt elles aussi lâchée froidement sur le monde. Le tonnerre gronde, c'est pour bientôt ! Ça y est ! La goutte se forme et tombe. Translucide mais bien là. Elle se forme, se déforme. Tantôt ronde, tantôt plate, toujours tournoyante. Prise dans une ultime danse macabre mais salvatrice. Elle arrive alors que les secondes défiles. Bientôt elle s'écrasera. Quel spectacle magnifique.
Une goutte d'eau, dernière rescapée d'un génocide au nom de la sacro-sainte vaisselle a, elle aussi, ce destin tragique que constitue la chute. Elle est là, formée et accrochée au bord du mitigeur. Pleine de vie dans son immobilisme. Symbole de notre société, elle est seule et vouée à mourir sous peu, oubliée de tous. Elle se maintient, tremblotante, usant de l'air lui-même pour parvenir à occuper cet espace. Peu à peu elle sort complètement du goulot. Pendante de tous son poids dans le vide. L'air la trahit alors. Elle tombe. Que de sentiments dans cette chute. Elle tournoie, comme pour voir une dernière fois le monde avant de s'engouffrer dans les tuyaux sombre de l'évier et de se perdre dans la multitude. La dernière danse de cette entité éphémère a commencé. Les instants de clamps défilent inexorablement, la rapprochant toujours plus de son destin. Elle n'y peut rien. La gravité mettra fin à son périple. De petites poussières à peine visibles seront les témoins de son passage. Portant en son cœur la raison de la vie même elle s'écrase en un bruit sec sur la céramique de l'évier de luxe lui ayant servit de monde. Cet unique son est à la fois son premier et son dernier cri. Elle glisse, lentement, vers le trou, comme animée d'un ultime désir d'individualité.
Fugace moment de vie que celui d'une goutte. Mais haut les cœurs, car ces pionnières se retrouveront bientôt dans des situations inverses. Elles auront l'insigne honneur de propager la vie, de la perpétuer. Elles seront bues, évacuées, recyclées, s'évaporeront, renaîtront et s'écraseront de nouveau. Tel est le cycle ! Tel est le destin de l'eau !